Corail – Le retour ?

Illustration : Flixtrain à Berlin – Source : Flixbus.com

Alors qu’un appel d’offre est lancé quant aux relations Nantes – Lyon et Nantes – Bordeaux, couvrant une période de dix ans à compter de 2022 (service horaire débutant en décembre 2021), Transdev, fort d’une expérience outre-Rhin se positionne sur ces deux lignes fortement déficitaires (respectivement 1,5 et 4 milliards d’euros), sans pour autant intéresser d’autres opérateurs : Thello reste en marge, Flix-Train ouvre l’oeil et nourrit d’autres projets.

Ce qui intéresse aujourd’hui n’est autre la grande vitesse : SNCF vient de signer une convention permettant d’opérer des trains à bas coûts de type Ouigo en Espagne sur trois liaisons (à raison de 5 rotations quotidiennes), Thello se prépare à investir Paris – Milan en concurrence frontale avec l’opérateur historique (plus d’infos ici), Eurostar se voit bientôt aux portes de Bordeaux…

Infographie : Flixtrain.com

Flix-Bonjour

L’opérateur de transport Flix-Train s’intéresse quant à lui à d’autres relations telles que Paris – Bruxelles, Paris – Lyon, Paris – Bordeaux, Paris – Toulouse ou Paris – Nice, qu’il souhaiterait voir circuler en France à partir du nouveau service 2021.

Flix Mobility, dont le siège est basé à Münich est plus connu du grand public grâce à la marque Flix-Bus, opérant en situation quasi monopolistique en Allemagne et de manière générale dans une grande partie du monde avec un système de partenariats entre une société mère gestionnaire des réservations, des liaisons, de l’après-vente et de l’affrètement des autocars, et des structures locales ou régionales propriétaires des véhicules et devant suivre un cahier des charges précis afin d’offrir à tout client le même niveau de service à bord de bus aux couleurs vertes.

Sa marque de fabrique ? L’agressivité tarifaire ! Consciente qu’une liaison par autocar de longue distance demande davantage de temps qu’un trajet effectué grâce à un véhicule personnel, en TGV ou en prenant l’avion, l’idée est d’offrir un certain niveau de confort tels qu’une prise de courant par place, un service de wifi, une plateforme où sont disponibles des films à des fins de divertissements pendant le voyage, le tout à un prix d’appel résolument attractif !

C’est en se basant sur ce modèle et afin d’accroître son réseau, notamment en proposant un service de correspondances multimodal, que naît Flix-Train en 2018 avec deux premières liaisons ferroviaires entre Berlin et Stuttgart d’une part, et entre Hambourg et Cologne d’autre part. L’année 2019 a vu l’avènement d’une troisième rotation sur l’axe Cologne – Berlin (quelques 600 km), où l’on peut voyager pour à peine plus de dix euros de bout en bout ! Face à la réussite commerciale et au succès rencontré, cette ligne a été prolongée depuis Aix-la-Chapelle et jusque Leipzig.

Les voitures anciennes issues notamment du parc de la Deutsche-Bahn, rénovées à grands frais pout l’occasion gardent le souvenir des millions de kilomètres qu’elles ont déjà parcouru tout en prenant soin d’offrir le wifi, une prise de courant permettant la recharge de son smartphone ou de son ordinateur portable afin de travailler en toute tranquillité pendant le voyage. Le côté allemand ressort du lot grâce à la présence d’une voiture « Biströ » dans chaque train où un service de type snacking est proposé aux voyageurs. Le giron de Flix-Train devrait contenir une nouvelle liaison entre Stuttgart et Hambourg à partir de cette année alors que des trains sont envisagés en Suède à partir du second semestre 2020 sur Stockholm – Malmö et Stockholm – Gothenburg.

ce modèle est-il envisageable en France ?

C’est ce qu’espère Flix-Train. En se positionnant sur des liaisons au départ de Paris vers Toulouse par l’axe PALITO (Paris – Limoges – Toulouse) d’une part et Bordeaux via St-Pierre-des-Corps d’autre part, l’opérateur privilégie du matériel classique, identique aux voitures Corail plutôt confortables, qui ont sillonné notre pays durant plus de trente ans et dont certaines voitures officient encore aujourd’hui, en se positionnant sur deux rotations journalières au départ de Paris-Austerlitz, en concurrence avec le TGV et les Intercités actuels !

Vers Bruxelles, un service identique serait proposé avec des prévisions allant jusqu’à sept allers-retours quotidiens (un départ toutes les deux heures de Paris de 8 h à 20h, une arrivée toutes les deux heures de 11h à 23h), entrant en concurrence directe sur un axe très fréquenté, notamment par une très forte proportion de clientèle d’affaires : Thalys relie les deux capitales en 1h25 par la LGV Nord de Paris à la frontière puis LGV 1 en Belgique, IZY effectue la liaison en 2h30 en circulant par ligne classique de Paris à Arras où les trains récupèrent l’itinéraire à grande vitesse. De plus, des liaisons en correspondance via Lille sont également proposées. L’objectif ? Relier les deux capitales en à peine 3 heures en desservant St-Quentin, Mons, Bruxelles-Midi, Bruxelles-Central puis Bruxelles-Nord, le tout à partir de 9,90 €.

Vers Lyon, où quelques trains TER circulent déjà, Flix-Train espère mettre en place pas moins de cinq allers-retours par jour opérant le trajet en 4h22 après une desserte de Dijon, Chalon-sur-Saône et Mâcon avant de gagner Perrache.

Sans aucun doute, Flix-Train pense à tout, et imagine déjà pouvoir moduler la capacité de ses trains en fonction des réservations et souhaite pouvoir offrir de 500 à 1000 places assises sur chaque relation (de 400 à 1000 places sur les relations nocturnes), le tout en exploitant une classe unique : exit la première. Rien de nouveau me direz-vous quand l’on pense que des voitures – voire des trains supplémentaires entiers – étaient ajoutés en fonction de l’affluence des voyageurs il y a quelques décennies seulement !

Flixtrain à Hambourg – Crédits : Martin Morkowsky

Enfin, et c’est peut être une bonne nouvelle pour la réintroduction d’un mode de transport en voie de disparition en France, Flix-Train s’intéresse à une liaison Paris – Nice en à peine moins de 10h30, effectuée de nuit. Une desserte fine a été étudiée, via Avignon, Arles, Miramas, l’aéroport de Vitrolles, un arrêt à Marseille-Blancarde pour éviter la perte de temps liée au rebroussement en gare de St-Charles, puis Toulon, St-Raphaël-Valescure, Cannes et Antibes. Un départ vers 22h30 de Paris-Austerlitz pour une arrivée sur la Riviera vers 9h dans un sens et un départ vers 20h30 de Nice pour une arrivée dans la capitale pour 6h30 sont en cours d’étude alors que le choix d’une composition intégrant voitures couchettes et/ou des voitures à sièges inclinables n’est pas encore défini, et que les inquiétudes grandissent du côté de l’opérateur allemand.

Comment tuer le train ?

Dans un premier temps, les péages dont doivent s’acquitter les compagnies de chemin de fer afin d’utiliser le réseau constituent une redevance calculée en fonction du type de convoi, de l’heure, de la ligne empruntée et des gares desservies. Ces péages sont versés à SNCF Réseau et constituent son principal revenu, permettant l’entretien et la rénovation du réseau ferré national, mais sont réputées comme étant élevées et les transformations liées au ferroviaire en France y sont pour quelque chose : l’utilisation de trains à deux niveaux, de plus en plus capacitaires, la desserte de gares en périphérie, la multiplication des arrêts afin d’accroître le remplissage des trains, le positionnement des trains à certains horaires amplifiant les trous dans la grille horaire…

Gare de Paris-Austerlitz – Photo : Les Échos

Dans un second temps, et voilà sans doute l’un des éléments que l’État à retenu en se désengageant des Trains d’Équilibre du Territoire alors que le déficit de ces derniers continuait à juste titre de se creuser, les travaux opérés sur le réseau ferré sont des chantiers se déroulant principalement de nuit, sur de grandes plages horaires, ils empêchent la circulation des trains sur certains axes, parfois pendant plusieurs semaines. Les trains qui circulaient alors étaient régulièrement desheurés avec des départs ou arrivées retardées, allongeant souvent considérablement la durée du voyage, ou alors purement et simplement supprimés ! La transparence concernant la commercialisation de ces voyages restait bien souvent inexistante : impossible de retrouver certains trains sur les canaux de réservation traditionnels. Il n’est pas rare de ne pas trouver le Paris – Briançon sur oui.sncf alors qu’un autre site vendait ces places.

Mais le coup de grâce à sans aucun doute été porté par la situation sanitaire actuelle : les liaisons ferroviaires sont réduites, les transports et déplacements individuels sont restreints et règlementés afin de freiner la propagation d’un ennemi invisible et, de fait, les rentrées d’argent sont fortement implantées !

L’espoir est grand étant donné que la grille horaire très amaigrie des liaisons nocturnes en France se contente aujourd’hui de deux trains quotidiens dont un Paris – Briançon (autrefois porteur d’une tranche Nice jusque fin 2017), et un Paris – La-Tour-de-Carol avec une tranche Rodez-Albi et une tranche Cerbère, faisant un convoi de 16 voitures, alors que sont loins les Simplon-Orient-Express, autres Strasbourg – Nice, Paris – Berlin ou Lille – Nice !

Intercités de Nuit Cerbère – Paris en gare d’Argelès-sur-Mer.

Après une phase de réflexion voulue par l’opérateur, une réponse officielle est tombée en mars, indiquant le souhait de la poursuite des pistes quant à l’implantation de Flix-Train sur les rails de l’hexagone.

Enfin, en milieu de semaine, l’opérateur a indiqué vouloir reporter la mise en circulation de ses trains sur les axes français où elle gardait un œil attentif, sans pour autant donner de délai. La renaissance du train classique au profit du tout-TGV devra donc attendre encore un peu.

Une renaissance du Train-Bleu ?

L’implantation de Flix-Train dans le paysage ferroviaire français concernant un Paris – Nice nocturne, vu par la presse comme un nouveau Train-Bleu, est peut-être l’occasion – s’il en fallait une – de revenir sur l’histoire de ce train prestigieux.

Créé en 1886 par la prestigieuse Compagnie Internationale des Wagons-Lits, il devient en quelques années un maillon du service ferroviaire opéré entre Londres et Vintimille. Après un trajet côté britannique, les passagers embarquaient à bord d’un ferry-boat qui leur permettait de rejoindre Calais où ils prenaient place à bord de la rame continentale à Calais-Maritime. Au terme d’un voyage de près de trente heures depuis Londres, le Calais-Méditerrannée-Express arrivait à son terminus de Vintimille, aux portes de l’Italie.

Comme nombre de relations ferroviaires, sa circulation est suspendue durant la Première Guerre Mondiale le temps de reprendre des couleurs. Remis sur les rails en 1920, il sera très rapidement doté de ce qui se fait de mieux en matière de Wagon-Lit (WL). En 1922, année où il prend le nom de « Train-Bleu », il est composé de cinq WL de type S2 (S pour Steel ou Acier) qui sont les premières voitures « nouvelle génération » de la Compagnie, et sans doutes les plus luxueuses de l’époque. Deux fourgons à bagages et un wagon-restaurant renforcent sa composition sur la totalité du trajet. Dans les années trente, les premières voitures de type Lx (Luxe) sont affrétées au plus prestigieux des trains nationaux.

Dans ses plus belles années, le Train-Bleu sera composé de deux WL Calais – Vintimille, un WL Calais – Rome, 3 WL Paris – Vintimille, 1 WL Paris – Marseille, une voiture de première sur Calais – Paris – Lyon et une de seconde classe sur Calais – Paris. De plus, une voiture restaurant accompagne le train de Paris à Dijon, puis de Marseille à Nice et inversement.

En 1968, des voitures-lits de type T2 entreront dans sa composition, comportant 18 compartiments sur deux niveaux : à l’étage supérieur, 9 compartiments de deux personnes (les fameux T2), et à l’étage inférieur, autant de compartiments pouvant bénéficier d’un aménagement « Single » ou « Double », le tout permettant d’offrir 36 lits.

L’avion pousse le Train-Bleu sur une pente douce

Dès 1976, il perd sa voiture-bar tandis que sa voiture-restaurant voit son parcours limité à Paris – Dijon et retour. Un second train, le Paris-Côte-d’Azur, composé de voitures couchettes de première et seconde classe reliait la capitale à la Riviera tous les jours, partant quelques minutes après le Train-Bleu.

À partir de 1980, les deux trains sont totalement remaniés : leurs horaires changent, le premier est retardé d’une heure, le second de deux heures alors que les deux emporteront leur lot de voyageurs divisés en « trois » classes à bord de voitures-lits et de voitures couchettes de première et seconde classe. Il n’y a dès lors plus de service de restauration à bord du train. Ils survivent sous les appellations « Train-Bleu » et « l’Esterel ».

Train Bleu avec voitures Lit Russes à Cuers – Source : Flickr / Trains en Voyage

Le couperet tombe en 2007 lorsque s’élance, le 7 décembre de cette même année, le dernier Train-Bleu de l’Histoire ayant délaissé les voitures-lits. Lui survivra un train sous l’appellation « Lunéa » puis « Intercités de Nuit » reliant Paris à Nice avec des voitures pour Briançon prenant une autre direction à partir de Valence. Un sursis lui est donné grâce à deux voitures de première classe des Chemins de fer Russes incorporées à ce train, permettant d’expérimenter ce service , jusqu’à sa disparition définitive le 9 décembre 2017.

Il n’y a, à ce jour, aucune prévision de reprise de ce trafic nocturne entre la capitale et la Riviera, bien que des espoirs aient été fondés sur une motivation des chemins de fer Russes ou l’opérateur Thello. Flix-Train serait à ce jour le mieux placé pour faire renaître cette liaison affichant à l’époque régulièrement complet, très prisée par les voyageurs.